L’ORGANISATION D’UNE RÉSIDENCE D’AÎNÉS : AU CARREFOUR DE MULTIPLES « UNIVERS »

Vous êtes-vous déjà demandé, en tant que propriétaire, gestionnaire ou employé d’un lieu qui accueille des personnes âgées (résidence privée ou autre) si le législateur a déjà mis les pieds dans un lieu comme le vôtre avant de rédiger? En tout cas, lorsque l’on parle avec des propriétaires de résidences pour aînés, on dirait que cette interrogation se pointe même de façon ténue dans leur propos…

Une plongée dans le monde de l’hébergement pour aînés

Nous voulons parler ici d’une jeune chercheuse française, Iris Loffeier, qui a mené une recherche dans un Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ÉPHAD). Une ÉPHAD

(…) se définit comme une maison de retraite médicalisée, dotée des services afférents tels que la restauration, les soins médicaux et les assistances soumises à agrément, permettant son exploitation (1).

On voit que cette définition correspond à divers types d’hébergement pour aînés que l’on retrouve au Québec, d’où l’intérêt de parler ici de cette recherche…

Plus précisément, cet ÉPHAD, qui est situé dans le Sud de la France, héberge 80 résidents présentant des problèmes divers allant de handicaps physiques à la maladie d’Alzheimer. On y retrouve des « Agents de services hospitaliers » (ASH), des aides-soignantes (AS), des infirmières, psychologues et animateurs, sans compter le personnel administratif et de gestion. Ajoutons que l’ÉPHAD fait appel à des sous-traitants, comme les cuisiniers et les ASH. (3) (p.71).

Ce qui est intéressant, c’est que Madame Loffeier, dans le cadre de sa recherche, a dû effectuer trois mois d’observation participante, qui consiste :

À étudier une société en partageant son mode de vie, en se faisant accepter par ses membres et en participant aux activités de groupes et à leurs enjeux (2)

Pendant trois mois, carnet de notes en main, elle a donc œuvré en tant qu’ASH, faisant le ménage dans les chambres (la toilette des résidents revenant aux AS). À travers son récit, que vous pouvez d’ailleurs lire en ligne (3), se révèlent les défis suscités par l’organisation du travail autour de personnes âgées dépendantes.

Un univers plus complexe qu’il n’y paraît…

Pour mieux comprendre cet univers, Iris Loffeier s’est basée sur les travaux de Laurent Thévenot et de Luc Boltanski portant sur le comportement des acteurs au sein des organisations (nous vous invitons à lire l’article d’Iris Loffeier pour plus de détails). Elle a découvert que les employés de L’ÉPHAD répondaient à des impératifs, à des « logiques » différentes selon les tâches à effectuer.

• Certains employés répondent à la logique « industrielle »;
• D’autres à la logique « marchande »;
• D’autres, enfin, à la logique « domestique ».

Par exemple, les gestionnaires ont une logique industrielle : ils veulent le bien-être du résident et pour ce faire, ils visent vise l’efficacité…

La logique commerciale, quant à elle, est basée sur l’individualité des résidents. Après tout, ce sont eux qui sont les clients.

« En somme, l’ÉPHAD privé est inséré dans des logiques marchandes et vend, à ce titre, une plus grandes individualisation des résidents, des soins prodigués à une personne en tenant compte de ses spécificités. (…) . Leur satisfaction, comme celle de leur famille, concourt à la bonne réputation de l’établissement et assure ainsi un apport éventuel en nouveaux résidents, mais garantit également que ceux qui y sont entrés y restent. Dans une démarche commerciale, la satisfaction du client est primordiale (…). (3) (pp. 75-76).

Quant à la logique domestique, elle privilégie le « lieu de vie ». Il s’agit de créer un mode de vie comme à la maison. Pour les employés, c’est problématique, car ils doivent, d’une part, travailler selon une logique industrielle avec un rythme de travail soutenu, et d’autre part, maintenir un milieu de vie qui ressemble à la maison…

Où les résident(e)s sont perçus de multiples façons…

Bien plus, Iris Loffeier révèle que le comportement à l’égard des résidents varie en fonction de ces diverses « logiques ». La logique commerciale considère les résidents comme des individus. Après tout, ce sont eux qui permettent à l’ÉPHAD de survivre. Mais à l’extrême, la logique domestique a tendance à considérer les résidents comme des enfants : en tentant de créer un monde « comme à la maison », c’est la logique familiale qui prévaut, la tradition; et comme les résidents sont dépendants, on en vient, presque inconsciemment, à les considérer comme des enfants, dans « un souci des papis et des mamies » (3) (p.83).

On notera que toutes ces attitudes font généralement l’objet de débats et de critiques comme autant d’éléments isolés. Chacun choisit son sujet de prédilection et le commente avec passion : soit on déplore la logique marchande des RPA; soit on parle du problème d’infantilisation dont sont victimes les personnes âgées; ou bien on pointe du doigt la quantité de travail des employés, qui doivent travailler comme dans une usine; les propriétaires, quant à eux, disent souvent que vivre dans leur RPA, c’est vivre comme à la maison; quant à appeler « papi » ou « mami » un ou une résident(e)…Mais ce qui est frappant dans cette recherche, c’est qu’Iris Loffeier a découvert que toutes ces idées, parfois contradictoires, se retrouvent toutes dans l’organisation, et détermine les rapports des employés entre eux et les rapports de ces derniers avec les résidents! Parler d’une résidence pour personnes âgées reviendrait donc à parler d’un univers où des courants parfois contradictoires se croisent et se heurtent…

Cette étude nous rappelle qu’il y aurait tout un travail de recherche à faire auprès des employés de résidences d’aînés et autres (4) qui pourraient être mises en parallèle avec d’autres qui visent, elles, à comprendre les personnes âgées vivant dans ces milieux… (4). Ce sont autant d’ « univers » qu’il faut bien comprendre, si l’on veut saisir la dynamique d’une résidence pour personnes âgées.

Évidemment, nous ne voulons pas dire que les législateurs devraient eux aussi effectuer de l’observation participante dans des milieux d’hébergement pour aînés, mais on peut tout de même se demander de quoi aurait l’air la législation si c’était le cas…

(1) Pour une définition:
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tablissement_d%27h%C3%A9bergement_pour_personnes_%C3%A2g%C3%A9es_d%C3%A9pendantes

(2) Voir par exemple l’article « Observation participante » sur Wikipedia.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Observation_participante

(3) LOFFEIER, Iris, « Fabriquer du « bien-être » : tension entre missions chez les personnels d’Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ÉPHAD) en France, Nouvelles pratiques sociales, vol. 24, no1, 2011, p. 69-84.
http://id.erudit.org/iderudit/1008219ar

(4) « Le travail dans les RPA : Le point de vue des employés », BRP 73
http://www.richardperreault.net/brp/73Web.html

(5) Voir par exemple CHARPENTIER, M et M. Soulières, Vieillir en milieu d’hébergement. Le regard des résidents, Collection Santé et Société, Presse Universitaire de Québec, 2007.

RÉSIDENCES POUR PERSONNES ÂGÉES À VENDRE – CLIQUER ICI

ptBRP 81,1

 

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